1586 · Rennes [i.e. Paris]
by DU FAIL, Noël (ca. 1520-1591)
"Un text en prose de la force de Villon" (Sainte-Beuve)
8vo (159x92 mm). [2], 223 [recte 219], [1] leaves. Collation: *2 A-Z8 Aa-Dd8 Ee4. Typographic ornament on the title page. Full burgundy morocco, gilt spine with five raised bands, double blind-ruled fillet on the panels, inside gilt dentelle, gilt edges (Pagnant). A very good copy.
Original edition, second issue (first: 1585) of the author's final collection of stories. This second issue is identical to the first including in the pagination errors, but for the title page that was reset.
Noël Du Fail contributed to what literary historians termed the Golden Age of French Renaissance narrative fiction. In this respect he is part of a trio including Marguerite de Navarre and Bonaventure Des Périers. Du Fail might be regarded as a Renaissance sociologist, then the Contes d'Eutrapel throws considerable light on the manners and general life of the day and there is frequent mention of contemporaries (e.g. Girolamo Cardano's visit to the Paris medical faculty). The fantasies of Rabelais' stories and the psychology of Marguerite's characterizations have been replaced in Du Fail by a kind of Balzacian observation and recording of detail. If one views Du Fail's work as a whole, it is clear that he wanted to unshackle himself from the conventions of narrative fiction, especially the constraints of a sustained plot, in order to criticize more directly contemporary socio-political developments. That he straddles two social backgrounds (as country gentleman and lawyer) gives us an inside to the thematic tensions that characterize his work: past and present, city and country, decadence and utopia, Catholic and Protestant, conservatism and social criticism (cf. M.-C. Bichard-Thomine, Noël Du Fail, conteur, Paris, 2001, pp. 161-184).
Noël Du Fail, born at the Manoir de Chateau-Létard near Rennes in Brittany, studied law in Paris and saw military service in Italy in the army of François I, participating in the battle of Cérisolle in 1544. He then lectures law at various French universities: Angers, Poitiers, Bourges, and others. Beginning in 1547, he published a series of miscellaneous stories, Propos rustiques, some fictional, others drawn from life, incorporating into them wider reflections on society in the manner of Rabelais and Montaigne. Estienne Pasquier, writing to Ronsard in 1555, speaks of him as a 'singe de Rabelais'. This is a completely uncritical remark, for, though Du Fail is an evident admirer of Rabelais and frequently refers to him in his books, his style is his own and only resembles that of his master in a few peculiarities. His second collection of stories was published in 1548 under the title of Baliverneries. At that time, he started his career as a lawyer, judge and politician. He became councillor to the Parlement de Bretagne but was excluded from it in 1573 for his Protestant faith. Reinstate in 1576 he resumed his career and retired a year after the publication of Eutrapel (cf. A J Krailsheimer, Three sixteenth-century conteurs, Oxford, 1966, pp. 137-49).
That the name of the printer on the title page, Noël Glamet, and the place of printing, Rennes, were fictitious was clearly shown by L. Loviot (L'imprimeur des 'Contes d'Eutrapel', in: "Revue des livres anciens", II, 1917, pp. 312-313), who assigned the first and all subsequent sixteenth-century editions of the Contes d'Eutrapel to the Parisian press of Jean Richer.
"Né vers 1520, Noël Du Fail, assez gros gentilhomme terrien, a quelque soixante-cinq ans lorsqu'il donne les Contes et Discours d'Eutrapel. Voilà plus de trente-cinq années qu'il est sagement fixé, après une jeunesse peut-être mouvementée, dans la Haute-Bretagne où il est né. Voilà presque le même temps qu'il est marié; le même, encore, qu'il exerce à Rennes des fonctions de conseiller (d'abord au Présidial, puis au Parlement): en cette année 1585, il est sur le point de prendre sa retraite. Les Contes et Discours d'Eutrapel sont l'œuvre d'un homme qui a vécu: 'le feu seigneur de la Hérissaye...'. Notre homme est alors tourmenté par la goutte. Il est en relations difficiles avec nombre de ses voisins pour des motifs d' 'opinions' religeuses. L'état de la France et notamment de la noblesse française le préoccupe très fort. Les Contes et Discours ne sont pas exempts de traces de désarroi. Si l'homme a de l'expérience, l'écrivain non plus n'en manque pas. Les Contes et Discours d'Eutrapel apparaissent comme une 'rentrée', près de quarante ans après deux livrets facétieux [Propos rustiques and Baliverneries] […] Œuvre d'un vieillard qui recrée à sa table le monde où il a vécu - et souvent, aussi, un monde plus ancien, plus ou moins mythique, dont il aime à vanter l'innocence -, les Contes et Discours d'Eutrapel sont essentiellement un livre descriptif. On peut même parfois déplorer, chez Du Fail, une tendance a épuiser le réel: ce désir de rivaliser avec le foisonnement des choses par le foisonnement des mots est une de ses façons, çà ou là un peu scolaires, d'être 'rabelaisien'. Mais quelques excès n'ôtent rien au fait qu'il est excellent observateur et peintre […] Le theme qu'il aime d'abord, c'est celui de la vie domestique. Les Contes et Discours présentent donc une riche galerie de femmes - car la femme incarne la maison. Du Fail insinue qu'elle se complaît fort à cet empire. Voyez plutôt ce guerrier, si brave pourtant sur les champs de bataille, gêné chez lui dans ses plaisirs par une épouse, 'la plus avaricieuse et chiche qui fust au pays, n'osant manger son soûl de peur que la terre ne luy defaillist', et prompte même à lui infliger des coups de bâton. Le ton d'une maison est donné par les dames de céans: leurs petites jalousies dès qu'il s'agit par exemple de parures ou de préséances (le banc à l'église), sont assez pour allumer la guerre avec les voisins, car le malheureux époux ne peut qu'épouser la querelle de sa femme, voudrait-elle faire battre ciel et terre - comme il arrive. Si l'on veut réconcilier les maris, il faut commencer par apaiser ces dames. Mais la femme est bien excusable, de s'identifier à la maison et d'y faire ainsi sentir son règne. Car c'est elle qui assure la vie de tous, soigne les malades, accomplit les rites du voisinage et de l'hospitalité, donne les ordres aux domestiques, veille aux 'buees' et au 'menu mesnage'. Plus: les temmes, et elles seules, 'gaignent leur vie' par leur continuel travail à la quenouille - dans toutes les classes de la société -, et sans doute ce détail importe […] Les données concernant l'alimentation sont bien plus nombreuses. Elles permettent d'abord d'admirer la belle unité des pays français, dès le XVIe siècle, en ce domaine de base. Tout comme à Metz ou aux bords du Rhône s'opposent ici les viandes au 'pot' - qui sont l'ordinaire - et les viandes friandes: 'pièce tremblante' de bœuf ou bien sûr volailles rôties à la broche dans les grandes occasions. Le fond de l'alimentation est là encore le pain, tenu pour sacré, en tout cas pour toujours précieux, et que le maître veille à ne pas laisser gas-Bretagne comme ailleurs, la maison a ses provisions de 'chair': 'andouille à la cheminee', 'jambon au charnier'; il semble que ces provisions soient plus ou moins considérées comme la propriété de la femme, et que, lorsque le mari se rue en cuisine, cela soit jugé comme un larcin à son épouse. Du Fail confirme aussi, en cette fin de siècle, la généralisation de l'usage du vin, objet d'un culte quasi mystique: c'étaient les anciens qui buvaient du cidre; aujourd'hui, même les Bretons ont leurs crus - diversement appréciés -, et ainsi l'habitude du 'vin de coucher' (qu'on a vue partout répandue) transparaît même dans les locutions courantes. Sur ce chapitre du régime, les Contes et Discours d'Eutrapel apportent toutefois deux notations plus originales. C'est ainsi qu'Eutrapel est décidé à appliquer le conseil du Gargantua et à 'souper' le soir plus copieusement qu'il ne 'disne' sur les dix ou onze heures du matin: l'habitude devait donc être à l'inverse. Surtout, Du Fail insiste, à plusieurs reprises, sur la nécessité de solidement manger. Habitant une terre déjà septentrionale, les Français ne peuvent pas, sans grande imprudence, se contenter de nourritures légères […] Le noble auteur des Contes et Discours d'Eutrapel est, qu'il le veuille ou non, un lettré - comme Tahureau, comme Montaigne... En art, il mêle aux goûts du gentilhomme breton ceux que l'humaniste a contractés dans sa jeunesse. Il prend parti dans les débats de son époque, se montrant partisan résolu des modernes dont il ne réprouve que les excès. Comme tant d'hommes de son temps, il aime à se poser des 'questions de nature', à élucider patiemment les choses par le 'discours'. Si, au long de sa vie de Conseiller à Rennes, il a surtout lu des livres de jurisprudence (outre, bien entendu, tous nos recueils de 'contes'), le vieil homme qu'il est maintenant prend goût de plus en plus aux ouvrages de 'curiositez'. Mais son 'encyclopédisme' n'a nullement le caractère parcellaire, parfois ludique, qu'il revêt chez un Cholières ou un G. Bouchet. Ceux-ci - le second surtout - emploient souvent le discours à des élucubrations très théoriques, étrangères à leur expérience d'hommes. Esprit profondément sérieux, convaincu de la mission éclairante et (si l'on ose dire) récapitulatrice de la raison humaine, Du Fail, lui, ne s'intéresse en fin de compte qu'à la conduite de la vie, à la morale . La structure même des Contes et Discours d'Eutrapel le montre bien: leur dernier chapitre annonce et décrit 'la retraite d'Eutrapel', de sorte que tous les propos viennent confluer dans la définition d'un art de vivre - art de vivre sur lequel il n'y a pas grand chose à dire, puisqu'il se résume à suivre gaîment nature et à accomplir les devoirs de son état (on vient de dire ceux du gentilhomme, mais chaque situation a les siens), dans une 'médiocrité' à l'antique qu'éclaire la lumière de l'Evangile […] Ainsi, bien des contradictions latentes dans les Contes et Discours d'Eutrapel montrent que nous sommes parvenus à une limite. Si un écrivain veut débattre de sciences ou d'idées, commenter les expériences de sa vie, pourquoi ne rompt-il pas franchement les liens avec le genre narratif? Qu'il supprime la rencontre des devisants, l'accréditation globale ou successive des propos. Du même coup, l'obligation (de plus en plus artificielle) d'être 'facétieux' s'évanouira pour lui. Il aura quitté le vieux genre narratif. Et il aura inventé l' 'essai'. A moins de cent lieues de Du Fail, et exactement dans les mêmes années, Montaigne - ou bientôt même Le Poulchre - aura eu cette simple audace, tirant les conséquences logiques de l'évolution du genre. C'est sans doute parce que Du Fail est déjà un vieil homme, attaché depuis sa jeunesse à la tradition des 'contes', qu'il n'a pas franchi le pas […]" (G.-A. Pérouse, Nouvelles françaises du XVIe siècles. Images de la vie du temps,Genève, 1977, pp. 311-341).
Index Aureliensis, 157.018; A.Cioranesco, Bibliographie de la littérature française du seizième siècle, Paris, 1959, no. 8691. J. Betz, Répertoire bibliographique des livres imprimées en France au 16e siècle (Rennes: Glamet), liv. 19, Baden-Baden, 1975, no. 2. (Inventory #: 208)
8vo (159x92 mm). [2], 223 [recte 219], [1] leaves. Collation: *2 A-Z8 Aa-Dd8 Ee4. Typographic ornament on the title page. Full burgundy morocco, gilt spine with five raised bands, double blind-ruled fillet on the panels, inside gilt dentelle, gilt edges (Pagnant). A very good copy.
Original edition, second issue (first: 1585) of the author's final collection of stories. This second issue is identical to the first including in the pagination errors, but for the title page that was reset.
Noël Du Fail contributed to what literary historians termed the Golden Age of French Renaissance narrative fiction. In this respect he is part of a trio including Marguerite de Navarre and Bonaventure Des Périers. Du Fail might be regarded as a Renaissance sociologist, then the Contes d'Eutrapel throws considerable light on the manners and general life of the day and there is frequent mention of contemporaries (e.g. Girolamo Cardano's visit to the Paris medical faculty). The fantasies of Rabelais' stories and the psychology of Marguerite's characterizations have been replaced in Du Fail by a kind of Balzacian observation and recording of detail. If one views Du Fail's work as a whole, it is clear that he wanted to unshackle himself from the conventions of narrative fiction, especially the constraints of a sustained plot, in order to criticize more directly contemporary socio-political developments. That he straddles two social backgrounds (as country gentleman and lawyer) gives us an inside to the thematic tensions that characterize his work: past and present, city and country, decadence and utopia, Catholic and Protestant, conservatism and social criticism (cf. M.-C. Bichard-Thomine, Noël Du Fail, conteur, Paris, 2001, pp. 161-184).
Noël Du Fail, born at the Manoir de Chateau-Létard near Rennes in Brittany, studied law in Paris and saw military service in Italy in the army of François I, participating in the battle of Cérisolle in 1544. He then lectures law at various French universities: Angers, Poitiers, Bourges, and others. Beginning in 1547, he published a series of miscellaneous stories, Propos rustiques, some fictional, others drawn from life, incorporating into them wider reflections on society in the manner of Rabelais and Montaigne. Estienne Pasquier, writing to Ronsard in 1555, speaks of him as a 'singe de Rabelais'. This is a completely uncritical remark, for, though Du Fail is an evident admirer of Rabelais and frequently refers to him in his books, his style is his own and only resembles that of his master in a few peculiarities. His second collection of stories was published in 1548 under the title of Baliverneries. At that time, he started his career as a lawyer, judge and politician. He became councillor to the Parlement de Bretagne but was excluded from it in 1573 for his Protestant faith. Reinstate in 1576 he resumed his career and retired a year after the publication of Eutrapel (cf. A J Krailsheimer, Three sixteenth-century conteurs, Oxford, 1966, pp. 137-49).
That the name of the printer on the title page, Noël Glamet, and the place of printing, Rennes, were fictitious was clearly shown by L. Loviot (L'imprimeur des 'Contes d'Eutrapel', in: "Revue des livres anciens", II, 1917, pp. 312-313), who assigned the first and all subsequent sixteenth-century editions of the Contes d'Eutrapel to the Parisian press of Jean Richer.
"Né vers 1520, Noël Du Fail, assez gros gentilhomme terrien, a quelque soixante-cinq ans lorsqu'il donne les Contes et Discours d'Eutrapel. Voilà plus de trente-cinq années qu'il est sagement fixé, après une jeunesse peut-être mouvementée, dans la Haute-Bretagne où il est né. Voilà presque le même temps qu'il est marié; le même, encore, qu'il exerce à Rennes des fonctions de conseiller (d'abord au Présidial, puis au Parlement): en cette année 1585, il est sur le point de prendre sa retraite. Les Contes et Discours d'Eutrapel sont l'œuvre d'un homme qui a vécu: 'le feu seigneur de la Hérissaye...'. Notre homme est alors tourmenté par la goutte. Il est en relations difficiles avec nombre de ses voisins pour des motifs d' 'opinions' religeuses. L'état de la France et notamment de la noblesse française le préoccupe très fort. Les Contes et Discours ne sont pas exempts de traces de désarroi. Si l'homme a de l'expérience, l'écrivain non plus n'en manque pas. Les Contes et Discours d'Eutrapel apparaissent comme une 'rentrée', près de quarante ans après deux livrets facétieux [Propos rustiques and Baliverneries] […] Œuvre d'un vieillard qui recrée à sa table le monde où il a vécu - et souvent, aussi, un monde plus ancien, plus ou moins mythique, dont il aime à vanter l'innocence -, les Contes et Discours d'Eutrapel sont essentiellement un livre descriptif. On peut même parfois déplorer, chez Du Fail, une tendance a épuiser le réel: ce désir de rivaliser avec le foisonnement des choses par le foisonnement des mots est une de ses façons, çà ou là un peu scolaires, d'être 'rabelaisien'. Mais quelques excès n'ôtent rien au fait qu'il est excellent observateur et peintre […] Le theme qu'il aime d'abord, c'est celui de la vie domestique. Les Contes et Discours présentent donc une riche galerie de femmes - car la femme incarne la maison. Du Fail insinue qu'elle se complaît fort à cet empire. Voyez plutôt ce guerrier, si brave pourtant sur les champs de bataille, gêné chez lui dans ses plaisirs par une épouse, 'la plus avaricieuse et chiche qui fust au pays, n'osant manger son soûl de peur que la terre ne luy defaillist', et prompte même à lui infliger des coups de bâton. Le ton d'une maison est donné par les dames de céans: leurs petites jalousies dès qu'il s'agit par exemple de parures ou de préséances (le banc à l'église), sont assez pour allumer la guerre avec les voisins, car le malheureux époux ne peut qu'épouser la querelle de sa femme, voudrait-elle faire battre ciel et terre - comme il arrive. Si l'on veut réconcilier les maris, il faut commencer par apaiser ces dames. Mais la femme est bien excusable, de s'identifier à la maison et d'y faire ainsi sentir son règne. Car c'est elle qui assure la vie de tous, soigne les malades, accomplit les rites du voisinage et de l'hospitalité, donne les ordres aux domestiques, veille aux 'buees' et au 'menu mesnage'. Plus: les temmes, et elles seules, 'gaignent leur vie' par leur continuel travail à la quenouille - dans toutes les classes de la société -, et sans doute ce détail importe […] Les données concernant l'alimentation sont bien plus nombreuses. Elles permettent d'abord d'admirer la belle unité des pays français, dès le XVIe siècle, en ce domaine de base. Tout comme à Metz ou aux bords du Rhône s'opposent ici les viandes au 'pot' - qui sont l'ordinaire - et les viandes friandes: 'pièce tremblante' de bœuf ou bien sûr volailles rôties à la broche dans les grandes occasions. Le fond de l'alimentation est là encore le pain, tenu pour sacré, en tout cas pour toujours précieux, et que le maître veille à ne pas laisser gas-Bretagne comme ailleurs, la maison a ses provisions de 'chair': 'andouille à la cheminee', 'jambon au charnier'; il semble que ces provisions soient plus ou moins considérées comme la propriété de la femme, et que, lorsque le mari se rue en cuisine, cela soit jugé comme un larcin à son épouse. Du Fail confirme aussi, en cette fin de siècle, la généralisation de l'usage du vin, objet d'un culte quasi mystique: c'étaient les anciens qui buvaient du cidre; aujourd'hui, même les Bretons ont leurs crus - diversement appréciés -, et ainsi l'habitude du 'vin de coucher' (qu'on a vue partout répandue) transparaît même dans les locutions courantes. Sur ce chapitre du régime, les Contes et Discours d'Eutrapel apportent toutefois deux notations plus originales. C'est ainsi qu'Eutrapel est décidé à appliquer le conseil du Gargantua et à 'souper' le soir plus copieusement qu'il ne 'disne' sur les dix ou onze heures du matin: l'habitude devait donc être à l'inverse. Surtout, Du Fail insiste, à plusieurs reprises, sur la nécessité de solidement manger. Habitant une terre déjà septentrionale, les Français ne peuvent pas, sans grande imprudence, se contenter de nourritures légères […] Le noble auteur des Contes et Discours d'Eutrapel est, qu'il le veuille ou non, un lettré - comme Tahureau, comme Montaigne... En art, il mêle aux goûts du gentilhomme breton ceux que l'humaniste a contractés dans sa jeunesse. Il prend parti dans les débats de son époque, se montrant partisan résolu des modernes dont il ne réprouve que les excès. Comme tant d'hommes de son temps, il aime à se poser des 'questions de nature', à élucider patiemment les choses par le 'discours'. Si, au long de sa vie de Conseiller à Rennes, il a surtout lu des livres de jurisprudence (outre, bien entendu, tous nos recueils de 'contes'), le vieil homme qu'il est maintenant prend goût de plus en plus aux ouvrages de 'curiositez'. Mais son 'encyclopédisme' n'a nullement le caractère parcellaire, parfois ludique, qu'il revêt chez un Cholières ou un G. Bouchet. Ceux-ci - le second surtout - emploient souvent le discours à des élucubrations très théoriques, étrangères à leur expérience d'hommes. Esprit profondément sérieux, convaincu de la mission éclairante et (si l'on ose dire) récapitulatrice de la raison humaine, Du Fail, lui, ne s'intéresse en fin de compte qu'à la conduite de la vie, à la morale . La structure même des Contes et Discours d'Eutrapel le montre bien: leur dernier chapitre annonce et décrit 'la retraite d'Eutrapel', de sorte que tous les propos viennent confluer dans la définition d'un art de vivre - art de vivre sur lequel il n'y a pas grand chose à dire, puisqu'il se résume à suivre gaîment nature et à accomplir les devoirs de son état (on vient de dire ceux du gentilhomme, mais chaque situation a les siens), dans une 'médiocrité' à l'antique qu'éclaire la lumière de l'Evangile […] Ainsi, bien des contradictions latentes dans les Contes et Discours d'Eutrapel montrent que nous sommes parvenus à une limite. Si un écrivain veut débattre de sciences ou d'idées, commenter les expériences de sa vie, pourquoi ne rompt-il pas franchement les liens avec le genre narratif? Qu'il supprime la rencontre des devisants, l'accréditation globale ou successive des propos. Du même coup, l'obligation (de plus en plus artificielle) d'être 'facétieux' s'évanouira pour lui. Il aura quitté le vieux genre narratif. Et il aura inventé l' 'essai'. A moins de cent lieues de Du Fail, et exactement dans les mêmes années, Montaigne - ou bientôt même Le Poulchre - aura eu cette simple audace, tirant les conséquences logiques de l'évolution du genre. C'est sans doute parce que Du Fail est déjà un vieil homme, attaché depuis sa jeunesse à la tradition des 'contes', qu'il n'a pas franchi le pas […]" (G.-A. Pérouse, Nouvelles françaises du XVIe siècles. Images de la vie du temps,Genève, 1977, pp. 311-341).
Index Aureliensis, 157.018; A.Cioranesco, Bibliographie de la littérature française du seizième siècle, Paris, 1959, no. 8691. J. Betz, Répertoire bibliographique des livres imprimées en France au 16e siècle (Rennes: Glamet), liv. 19, Baden-Baden, 1975, no. 2. (Inventory #: 208)